samedi 18 décembre 2010

Albert Finois sort de son bureau à 18 h.30, comptable chez "Listrac et fils " il prend le temps de ranger méticuleusement ses affaires avant d’enfiler son imper (sport et ville) sur son vêtementde fonction. Tant pis s’il ressemble ainsi au stéréotype du comptable en costume trois pièces ! Il a procédé à de vains essais, en jeans il se sent déguisé.
Il emprunte comme chaque soir l’avenue Mitterrand dont il connaît chaque pavé, chaque trou du trottoir un peu éclaté par les racines des prunus qu’il a vus grandir. Il regarde le trottoir d’en face avec concupiscence : il ne l’a jamais emprunté. Face au no5 il entrouvre son col et respire plus fort l’air parfumé au chèvre- feuille de ce début de printemps.
Au carrefour Arthur Miller il redouble le pas, quatre enjambées, pas trois ni cinq, quatre et ce sont les dernières dalles qu’il faut passer sans toucher du pied les joints en ciment .Derrière sa fenêtre , l'infirme du no16 ,salue d'un regard triste l'exploit quotidien .
Le no 22 ; c’est sa porte, peinte en vert ,écaillée.La clef est dans le pot de géranium sur le rebord de la fenêtre, qui irait la chercher là ?
Albert Finois entre dans le vestibule sombre et troque ses chaussures contre des charentaises rangées côte à côte et qui l’attendent depuis ce matin.
_Bonsoir Minou !
Le chat obèse vient se frotter à ses mollets.
_Viens mon beau je vais te donner ton croque -cat.
Comme toujours Albert Finois peste contre l’ouverture dite automatique de la boîte dont le jus se répand sur le lino .Minou fait le ménage.
Penché sur la toile cirée de la table Albert pousse sans le regarder le bouton « marche " de la radio branchée automatiquement sur France Inter .Dans quelques minutes il aura les nouvelles .En fait ces informations n’ont rien de nouveau, des accidents, des guerres, quelque décision ministérielle, rythmées par les habituelles musiques d’accompagnement... C’est un fond sonore qui l’accompagne pendant qu’il se lave les mains, il les essuie au torchon attrapé machinalement sous l’évier.
Il ne lui reste qu’à écouter le répondeur du téléphone : « vous n’avez pas de nouveau message », avant de placer la pizza surgelée dans le micro-onde.
La glace au-dessus de l’évier lui renvoie l’image insipide d’un quidam quelconque.
Seul dans le miroir. Seul dans la vie.
Il ne faut pas perdre espoir ; il y a paraît-il, quelque part, qui nous attend , une « moitié d’orange » pour chacun d’entre nous…
Demain il s’inscrira à un club de rencontre ; il trouvera une jolie minette dégourdie qui le secouera.


Sûr ; il fera cela demain, comme il le décide tous les soirs à la même heure.

3 commentaires: