lundi 10 octobre 2016

Comptes de fées-5- et fin



Tais-toi malfaisante, lui ordonnait Pierre hors de lui, tu vois ce que tu as fait !
- Moi, j’ai fait quelque chose, criait la jeune fille, à part obéir à tout ce que tu voulais, d’ailleurs ce que tu peux dire et faire m’est égal : tu n’es même pas mon père. Pierre et Adèle abasourdis regardent leur fille puis Sacha qui semble observer la scène d’un air, mais oui, amusé ! C’était terrible disait la cuisinière, monsieur d’habitude si calme était comme un démon.
- Ah ! C’est comme cela et bien tu vas m’obéir pour la dernière fois : tu vas quitter la maison.
- Cela tombe bien je commençais à être fatiguée que maman joue à la poupée avec moi et que toi, papa, tu me maintiennes docile dans cette petite vie provinciale et mesquine. J’ai d’autres ambitions. Pierre ahuri bégaie :
- Et comment comptes-tu vivre ?
- Voyons papa aurais-tu oublié les donations que vous nous avez faites ? Tous vos biens pour nous deux à notre majorité, il n’y a plus que quelques mois à attendre. Je quitterai la maison dès demain. Les Deberre sont effondrés. Adèle se jette au cou de Sacha :
- Heureusement que je t’ai mon chéri. Pierre en larmes ne voit pas, au- dessus de l’épaule frémissante d’Adèle, le regard tendrement complice qu’échangent les jumeaux.
Le lendemain Pierre, sorti quelque peu hébété  sur le pas de l’annexe, entendit des hurlements provenant  du Castillet, plus précisément de la chambre d’Aude. Il y trouva Adèle en pleine crise de nerfs, si perturbée qu’elle en oublia un instant qu’elle avait interdit à Pierre de la revoir.
- Mais quelle garce, quelle garce ! Dans la nuit j’ai été réveillée par le bruit du moteur de la Panhard…
- Quoi, ma voiture ?
- Évidemment, Aude est partie avec.
- Ne t’inquiète pas elle va revenir, nous allons tous nous réconcilier, ce qui s’est passé hier doit être oublié, viens  je vais te reconduire dans ta chambre. Adèle épuisée se laisse mener, puis ses hurlements reprennent de plus belle :
- Mon coffret a disparu, il était encore là hier après midi, mon coffret ! Tous  mes bijoux et tout l’argent pour les dépenses du mois ! Et tu dis qu’elle va revenir, qu’il faut oublier ! Jamais ! Mais d’abord qu’est ce que tu fais là ? Je t’interdis de revenir ici, même si je suis moribonde.
Depuis cette crise un étrange mode de vie s’installa. Adèle mortifiée se calfeutrait dans ses appartements, ne voulait voir personne. Pierre vivait dans l’annexe, il y recevait une clientèle raréfiée, sortant pour prendre ses repas dans un modeste restaurant de la place du Monument aux Morts. En ville le scandale s’était apaisé mais le docteur ne pouvait ignorer les changements d’attitude de ses amis notables. (Certains avaient beaucoup plus à se reprocher mais avaient eu la chance de ne pas se faire attraper). Pierre était surtout malheureux d’avoir perdu si bêtement femme et fille. L’attitude de Sacha était très ambiguë. Il était triste avec un air de reproche quand il prenait ses repas avec sa mère qui l’accablait d’une tendresse qu’il ne partageait pas. Il ne venait voir son père que s’il y était invité. Il s’absentait souvent, parfois quelques jours, il revenait très excité en restant secret sur ses activités.
 Par la cuisinière Pierre apprit qu’Adèle, sans l’en avertir, s’était retirée au couvent des Bénédictines. Son chagrin fut immense. Il en parla avec Sacha, qui se trouvait maintenant seul au Castillet lequel lui assura avoir été toujours en rapport avec Aude tout en refusant  de lui fournir le moindre renseignement. Pierre voyait que de nombreux  jeunes visiteurs fréquentaient la maison mais il n’était jamais invité. Pierre aurait voulu partager avec son fils, comme avec ses amis au café, ses craintes par rapport aux événements dramatiques qui avaient lieu en Europe tout cet été 1939 mais Sacha était de plus en plus souvent absent. Pierre se sentait vieux, avait besoin qu’on le rassure, qu’on lui confirme que la guerre qu’il avait vécue était bien la « der des ders »…
Vers la fin du mois d’Août il constata que les volets étaient fermés, le Castillet déserté. Intrigué Pierre poussa la lourde porte d’entrée restée ouverte. La grande salle à manger avait à l’évidence servi de salle de réunion, la longue table était recouverte de verres sales, de cendriers débordant de mégots. Ça et là trainaient des cartes du nord et de l’est de la France. Pierre se refusait à admettre l’évidence, pourtant horrifié, il ne put que s’y résoudre à la lecture de quelques tracts d’inspiration nazie et de  maquettes de drapeaux à l’aigle impérial oubliés sur la desserte. Deberre sortit en titubant. Son fils parti rejoindre les assassins de la Pologne. Rien ne lui aura été épargné.
Le lendemain, entre les frondaisons, depuis le portail, le facteur aperçût le corps de Pierre qui se balançait sous le gros chêne.
Le même jour, partout sur les murs des édifices publics, sous les yeux terrifiés de la population, on placardait l’avis de Mobilisation Générale.

6 commentaires:

  1. Estos relatos cortos, son demasiado para mi francés.

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  2. Quelle histoire rurale passionnante ! La vie des personnes n'est jamais comme on pense qu'elle aurait dû être. C'est le destin de chacun
    A mercredi Nicole

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  3. Une vie foutue pour quelques minutes d'égarement. C'est pas juste !!
    C'est très bien écrit et raconté. Bravo Manouche !

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  4. Olá amiga, passei por aqui para desejar-lhe uma
    abençoada semana.
    Doce abraço, Marie.

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  5. La cultura forma una parte muy importante de tu manera de actuar

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  6. J´adore ton écriture, elle est fraîche.

    Et ouais, en une seconde, la vie... peut tout chambouler.

    Bizz, Manou.

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